Sujet de thèse IFSTTAR

 

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Fiche détaillée :

Titre : Épidémiologie de la douleur chronique après un accident de la circulation routière : rôle des émotions et de leur régulation dans la persistance de la douleur.

Laboratoire principal - Référent principal TS2 - UMRESTTE  -  LAFONT Sylviane      tél. : +33 472142517 
Directeur du laboratoire principal CHARBOTEL-COING-BOYAT barbara  -  
Spécialité de la thèse Épidémiologie
Axe 1 - COP2017 - Transporter efficacement et se déplacer en sécurité
Site principal Bron
Etablissement d'inscription UNIVERSITE CLAUDE-BERNARD-LYON 1
Ecole doctorale ECOLE DOCTORALE INTERDISCIPLINAIRE SCIENCES-SANTE (EDISS)
Directeur de thèse prévu LAFONT Sylviane  -  Université Gustave Eiffel  -  TS2 - UMRESTTE
Type de financement prévu Contrat doctoral  - Ifsttar

Résumé

Contexte
La douleur est « une sensation et une expérience émotionnelle désagréable en réponse à une atteinte tissulaire réelle ou potentielle ou décrites en ces termes » selon l’International Association for the Study of Pain. Elle devient chronique si elle persiste plus de trois mois après l’épisode aigu, et ce malgré une prise en charge thérapeutique, et si elle induit une détérioration fonctionnelle et relationnelle. En France, 32% des adultes sont atteints de douleurs chroniques (1) et 15% souffrent depuis plus de 6 mois avec une intensité 5 ou plus sur une échelle de 1 à 10 (2). Après un accident de la route, les victimes sont encore très nombreuses à souffrir de douleurs un an plus tard : 64% chez les blessés légers et modérés, et 85% chez les blessés graves (3). La part de la douleur chronique attribuable à un accident de la route reste cependant à estimer parmi l’ensemble des douloureux chroniques.
Les douleurs chroniques entrainent une forte consommation médicamenteuse et médicale. Dans le cas des accidents de la route, 39 % des blessés graves et 23 % des blessés modérés et légers prennent encore des antalgiques un an après l’accident (3). Concernant la consommation médicale, une étude montre que 14 % des douloureux chroniques ont consulté un médecin une fois dans les 6 derniers mois, 60 % entre 2 et 9 fois, et 11 % au moins 10 fois. Néanmoins, 13 % de ceux qui ont consulté plus d’une fois sont insatisfaits de la réponse au traitement, ou en échec avec leur médecin. Ce dernier chiffre peut être mis en regard avec la crise sanitaire vécue aux Etats-Unis, et dans une moindre mesure en France, avec le mésusage des opioïdes. Enfin les douleurs chroniques altèrent la qualité de vie, les capacités fonctionnelles, et la vie professionnelle (61 % ne peuvent plus sortir de chez eux, 19 % ont perdu leur emploi), et augmentent les syndromes associés (ex 21 % de dépression attribuée à la douleur) (2). Dans ce contexte général ou spécifique aux accidents de la route, prévenir la chronicisation d’une douleur aigüe représente un enjeu très fort de santé publique.
Souvent complexe et multidimensionnelle, la persistance d’une douleur est aujourd’hui appréhendée avec une approche biopsychosociale (4). Au plan biologique, les femmes développent plus souvent des affections douloureuses chroniques, et certains phénotypes sont plus à risque (5). L’étude de la fibromyalgie montre que certaines personnes ont des seuils de tolérance à la douleur plus bas que les autres (6). L’origine du symptôme, la durée et la sévérité peuvent aussi favoriser la chronicisation d’une douleur ; une cause physique sera associée à des sévérités de douleur perçue plus importantes. Au plan sociologique, un environnement social défavorable peut renforcer les symptômes et les conséquences (7).
Pour les aspects psychologiques, divers facteurs sont sources de vulnérabilité à la douleur chronique ou au contraire de résilience. Le sens donné à la douleur, les croyances personnelles, le processus d’évaluation de la douleur, la conviction personnelle que l’on peut adopter avec succès des comportements requis dans certaines situations, sont des facteurs qui permettront à l’individu d’assumer son rôle de malade ou d’ignorer sa douleur, ou encore de mobiliser un effort important (8). Les traits de personnalité (catastrophisme, anxiété, dépression) peuvent aussi favoriser la chronicisation de la douleur (5). Concernant la dimension émotionnelle, son lien est connu avec la douleur aigüe : les émotions négatives exacerbent la perception et le ressenti de celle-ci et en abaissent le seuil de tolérance (5). L’inverse est vrai pour les émotions positives mais dans une moindre mesure. L’intensité de l’émotion a également un impact sur la douleur : plus l’émotion est intense, plus son effet est fort. Rhudy pose l’hypothèse que l’échec de la modulation émotionnelle de la douleur serait un phénotype à risque de douleur et de troubles affectifs.
La relation entre émotions et douleur chronique existe (9), mais son sens n’est pas clair car l’état émotionnel est mesuré lorsque la douleur est déjà chronique, ce qui ne permet pas de savoir, par exemple, si la tristesse favorise la persistance de la douleur, ou si la douleur chronique favorise la tristesse. Au-delà des émotions, une régulation émotionnelle inadaptée pourrait augmenter le risque de douleur chronique. Le cas particulier du traumatisme routier ajoute une composante spécifique à ces aspects, de par la violence du choc, ou encore par l’implication d’autres personnes dans l’accident (se sentir victime ou responsable). Tous ces mécanismes psychologiques sont complexes et souvent liés. Il est proposé d’explorer finement le rôle de l’état émotionnel et sa régulation sur le risque de chronicisation de la douleur à la suite d’un accident de la circulation routière.

Objectifs de la thèse :
1. Décrire les caractéristiques, facteurs de risque et conséquences de la douleur chronique après un accident de la circulation.
2. Etudier le rôle de l’état émotionnel et sa régulation dans la chronicisation de la douleur.
3. Estimer la part de la douleur chronique après un traumatisme routier parmi l’ensemble des autres causes et identifier de possibles spécificités.

Méthode
L’apport de connaissance sur la douleur chronique après un accident de la route sera possible grâce aux données de la cohorte ESPARR (étude de suivi d’une population d’accidentés de la route dans le Rhône). Elle contient des informations riches sur l’existence d’une douleur à un an, deux ans, trois ans et cinq ans après l’accident. Le nombre de sujets (1372), la durée de suivi, et le contenu de ces suivis en font un outil de qualité pour cette problématique. Les personnes ont en effet été interrogées sur de nombreux aspects d’intérêt pour la douleur chronique (biologiques, sociologiques et psychologiques) comme la fréquence des ressentis négatifs, la prise de psychotropes ou encore la mesure de troubles cognitifs dont la diminution des émotions.
L’hypothèse, du rôle des émotions négatives ou d’une mauvaise régulation des émotions dans la persistance d’une douleur, sera explorée lors d’un passage dans un service d’urgence à l’hôpital, moment souvent chargé en stress, émotions, et douleur. Deux populations de patients seront étudiées :
a) 3000 patients inclus dans un essai clinique sur la prévention du stress post-traumatique grâce à une intervention de type EMDR (Eye movement desentization and reprocessing). Cette étude, pilotée par E Lagarde de l’Inserm à Bordeaux, est financée par un PHRC national (SOFTER IV). Dans le cadre de cette thèse sera étudié le risque de douleur chronique avec, comme facteur d’intérêt, l’état émotionnel de la personne à l’entrée et à la sortie des urgences, et sa capacité à réguler ses émotions. Les liens forts entre stress et douleur (5) seront pris en compte.
b) 150 patients avec simple fracture des os longs. Ce type de lésions et sa prise en charge n’entrainant généralement pas de douleur chronique, il sera possible d’isoler la dimension psychologique dans le risque de chronicisation de la douleur. M. Galinski, médecin urgentiste spécialiste de la douleur qui serait co-encadrant de cette thèse, mène une étude sur l’impact de l’optimisation de la gestion de la douleur aux urgences sur le risque de chronicisation à la suite d’une fracture d’os longs (CHRONODOL). L’état émotionnel comme facteur explicatif de la chronicisation de la douleur complétera son protocole.

Résultats attendus
Ce travail sur l’état émotionnel et la capacité à réguler ses émotions au moment d’une douleur aigüe due à un traumatisme permettra d’enrichir la théorie du modèle biopsychosocial de la douleur chronique. Il contribuera à diagnostiquer précocement les patients à haut risque, et à leur proposer une prise en charge adaptée. Il ouvrira en effet sur de nouvelles pistes d’intervention basée sur la régulation des émotions, avec un volet particulier en cas de spécificités mises en évidence dans les accidents de la circulation routière. On peut ainsi espérer une diminution des conséquences négatives des accidents de la route sur la santé, la qualité de vie, la vie familiale et la vie professionnelle. Les bénéfices attendus sont aussi d’ordre sociétaux avec des gains potentiels sur le coût de la prise en charge globale des douloureux chroniques après un accident de la route.


1. Bouhassira D, Lantéri-Minet M, Attal N, Laurent B, Touboul C. Prevalence of chronic pain with neuropathic characteristics in the general population. PAIN. juin 2008;136(3):380‑7.
2. Breivik H, Collett B, Ventafridda V, Cohen R, Gallacher D. Survey of chronic pain in Europe: Prevalence, impact on daily life, and treatment. Eur J Pain. mai 2006;10(4):287‑287.
3. Hours M, Chossegros L, Charnay P, Tardy H, Nhac-Vu H-T, Boisson D, et al. Outcomes one year after a road accident: Results from the ESPARR cohort. Accid Anal Prev. janv 2013;50:92‑102.
4. Engel GL. The need for a new medical model: a challenge for biomedicine. Science. 8 avr 1977;196(4286):129‑36.
5. Flaten MA, Absi M al, éditeurs. The neuroscience of pain, stress, and emotion: psychological and clinical implications. Amsterdam: Academic Press is an imprint of Elsevier; 2016. 296 p.
6. Simonnet G, Laurent B, Le Breton D. L’homme douloureux. Librairie Eyrolles. Odile Jacob; 2018. 304 p. (Médecine). Disponible sur: https://www.eyrolles.com/Sciences/Livre/l-homme-douloureux-9782738145888/
7. Hanley O, Miner J, Rockswold E, Biros M. The relationship between chronic illness, chronic pain, and socioeconomic factors in the ED. Am J Emerg Med. mars 2011;29(3):286‑92.
8. Turk DC, Okifuji A. Psychological factors in chronic pain: Evolution and revolution. J Consult Clin Psychol. juin 2002;70(3):678‑90.
9. Koechlin H, Coakley R, Schechter N, Werner C, Kossowsky J. The role of emotion regulation in chronic pain: A systematic literature review. J Psychosom Res. avr 2018;107:38‑45.

Mots-clefs: Accidents de la route ; Traumatisme ; Chronicisation de la douleur ; Émotion ; Régulation émotionnelle ; Stress
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