Comment rendre pertinente une situation de réalité virtuelle ?

Dossiers thématiques février 2016 InnovationTransportModélisation et simulation numériqueComportement humainSécurité routière

Régis Lobjois, Chargé de recherche - Département COSYS, Laboratoire LEPSIS

Utiliser un simulateur, pour étudier les comportements des usagers de la route, implique de se poser la question de sa validité. Un simulateur est valide lorsqu’il permet à ses utilisateurs d’adopter un comportement naturel et sans acquis préalable1. L’idée sous-jacente majeure est que le simulateur ne doit pas induire de nouveaux comportements ou stratégies, qui ne révéleraient finalement pas l’activité réelle de l’utilisateur dans la situation étudiée.

Quatre dimensions-clés de la validité des dispositifs de réalité virtuelle sont généralement évoquées2 :

  • La validité physique, qui renvoie aux propriétés et performances de l’architecture logicielle et matérielle du système, et donc à sa capacité à fournir des stimulations sensorielles objectivement proches de celles du monde réel ;
  • La validité subjective, qui renvoie au jugement de ressemblance et à la crédibilité accordée à la situation simulée ;
  • La validité éthologique, qui mesure l’analogie des comportements en situation simulée et en situation réelle ;
  • Et enfin, la validité psychologique, qui renvoie à la similitude des processus psychologiques sous-tendant l’activité, y compris la charge mentale induite par l’activité de conduite.

 

Démarche d’évaluation des simulateurs

La démarche consiste à mettre à l’épreuve des utilisateurs les choix techniques et technologiques, et donc les caractéristiques par lesquelles ils interagissent et sont immergés dans l’environnement virtuel.

Cette mise à l’épreuve s’appuie principalement sur des mesures subjectives (par questionnaire ou entretien post-exposition) et des mesures comportementales (vitesse adoptée, louvoiement sur la chaussée, décision prise, etc.) pour qualifier/évaluer les dispositifs.

 Néanmoins, ces deux familles de mesures font face à certaines limites. Les mesures subjectives témoignent d’une moindre sensibilité aux caractéristiques de l’environnement virtuel comparativement aux mesures dites objectives3. Les comportements adoptés sur simulateur peuvent, quant à eux, approcher ceux observés en situation réelle mais être assurés par des stratégies et processus sous-jacents différents.

Notre démarche de conception et d’évaluation des simulateurs privilégie la dimension dite psychologique, au travers d’évaluation relative (comparaison de plusieurs dispositifs ayant des caractéristiques différentes) ou absolue (comparaison d’un dispositif à la situation réelle). En voici quelques illustrations :

 

En simulation de conduite moto

Comme il n’est pas possible, sur simulateur, de pencher la « moto » comme le ferait un motard sur la route (apparition de sensation de chute4), la scène visuelle est inclinée afin de compenser cette limite et d’assurer une illusion d’inclinaison. En manipulant l’amplitude de l’inclinaison de la scène visuelle, les chercheurs ont montré que les utilisateurs ressentent de plus en plus de malaise à mesure que la scène visuelle est inclinée5. De plus, cette inclinaison entraîne une modification des stratégies visuelles expliquant une dégradation du contrôle de la trajectoire du véhicule en virage.

La validité psychologique de l’inclinaison est donc limitée puisqu’elle tend à modifier les processus visuels naturels qui sous-tendent les comportements en virage6.

 

Simulateur moto à plateforme dynamique (en haut à gauche) placé devant 3 écrans de 2.8m de haut et 1.8m de large (en bas à gauche). Une rotation dans l’axe de roulis peut être appliquée à la scène visuelle afin de donner l’illusion d’une inclinaison (illustrations de droite, avec et sans roulis visuel).
Comment rendre pertinente une situation de réalité virtuelle ? - Ifsttar - Simulateur moto à plateforme dynamique

 

En simulation de traversée de rue

Avec le développement de solutions permettant d’enregistrer les déplacements d’un « piéton » dans un environnement virtuel, les chercheurs du LEPSIS ont comparé l’effet de deux conditions de réponse sur les décisions de traversée. Dans le premier cas, l’utilisateur était simplement invité à répondre, à l’aide d’un bouton, si oui ou non il traverserait face au trafic présenté sur l’écran. Pour le second cas, le participant avait la possibilité d’effectuer la traversée en marchant sur une distance correspondante à la largeur de la chaussée simulée. Dans cette dernière condition, les comportements de traversée étaient plus opportunistes tout en étant moins risqués. Ce résultat a été expliqué par une meilleure préservation du « dialogue » entre la perception de la situation et le contrôle de l’action de traversée, ce dialogue étant rompu dans les réponses de type presse-bouton7.

 

En simulation de conduite automobile

Les simulateurs de conduite automobile ont essentiellement été évalués au regard des performances et comportements adoptés par comparaison à la situation réelle. La question s’est donc posée de savoir si une même performance était atteinte ou non, en situation réelle et simulée, avec les mêmes quantités de ressources attentionnelles investies. Dans cet objectif, nous avons comparé le niveau de charge mentale induit par ces deux conditions et montré que la conduite sur simulateur imposait aux conducteurs un niveau de charge supérieur.

 

Ces quelques résultats, pris dans leur ensemble, illustrent l’importance de prendre en considération les processus psychologiques qui sous-tendent l’action lorsqu’il s’agit d’évaluer les dispositifs de réalité virtuelle.


Pour aller plus loin ...

 

1Burkhardt, J-M., B. Bardy, and D. Lourdeaux. 2003. Immersion, réalisme et présence dans la conception et l’évaluation des environnements virtuels. Psychologie Française, 48, 35‑42.

2Malaterre, G., and J. Fréchaux. 2002. Validité des simulateurs de conduite par comparaison de tâches réalisées en situation réelle et simulée. Actes INRETS n°82, pp. 149-157.

3Morice, A. H. P, I. A. Siegler, and B. G. Bardy. 2008. Action-perception patterns in virtual ball-bouncing: Combating system latency and tracking functional validity. Journal of Neuroscience Methods 169: 255‑266.

4Dagonneau, V. (2012). Etude des liens entre immersion et présence pour la mise au point d’un simulateur de conduite de deux-roues motorisé. Thèse de Doctorat, Université Paris-Sud.

5Lobjois, R., V. Dagonneau, and B. Isableu. (2016). The contribution of visual and proprioceptive information to the leaning sensation in a dynamic motorbike simulator. Ergonomics, DOI: 10.1080/00140139.2016.1149229

6Lobjois, R., I. A. Siegler, and F. Mars (2016). Effects of visual roll on steering control and gaze behavior in a motorcycle simulator. Transportation Research Part F, 38, 55–66.

7Lobjois, R., and V. Cavallo. 2009. The effects of aging on street-crossing behavior: from estimation to actual crossing. Accident Analysis & Prevention, 41, 259-267.