Le vécu des femmes dans les transports collectifs

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Par Gonçal Cerdà Beneito, étudiant en Master 2 Transport et mobilité (EUP) – Stage encadré par Sandrine Wenglenski, maîtresse de conférences en urbanisme aménagement et sociologie (LVMT, UPEM)

Les transports collectifs ont un rôle important pour la mobilité quotidienne. En Île-de-France, au cours d’une journée, plus d’un déplacement sur cinq est réalisé dans ces modes de transporti.

Femmes et hommes les utilisent dans des proportions semblables. Pourtant, plus de la moitié des femmes disent ne pas s’y sentir en sécurité. Les chercheurs étudient les causes de leur appréhension qui contribuent à limiter leur participation à la vie sociale.

 

Un espace social à partager

Dans les transports collectifs, les relations sociales entre inconnus sont régulées par le contrôle social. Un principe d’inattention civile s’exerce alors permettant, à chacun, de respecter discrètement la présence de l’autreii.

Mais, comme les études sur le genre le soulignent depuis les années 1980, ce contrôle social s’exerce selon des normes qui attribuent encore des rôles sociaux et des places différenciées aux hommes et aux femmes.

Au-delà des situations extrêmes de harcèlement et d’agression, l’expérience quotidienne peut générer un inconfort et avoir un impact sur les pratiques des transports en commun.

 

 

Le vécu des femmes dans les transports collectifs - Ifsttar - Illustration Joël Yerpez - Tous droits réservés

 

 

 

L’inconfort de l’expérience quotidienne

Une recherche basée sur différentes méthodes qualitatives (observations, entretiens individuels et en groupe) a permis de restituer le vécu d’étudiantes utilisatrices des transports collectifs en Île-de-France.

Cette étudeiiimet en évidence plusieurs catégories d’attitudes masculines : invasion territoriale, intrusion par le regard, commentaires verbaux sur l’apparence physique ou contacts physiques.

Le sociologue Erving Goffmanivparle de « modes de violation », au sens où ces attitudes provoquent une offense personnelle. Chez les femmes enquêtées, elles concourent au minimum à leur inconfort et, à des degrés divers, à un sentiment diffus d’appréhension.

Certaines de ces attitudes sont naturalisées ou minorées par ces jeunes femmes, à une période d’apprentissage de l’indépendance. Elles peuvent lier leurs réactions à une certaine culpabilité, renvoyant leur crainte à leur « paranoïa » personnelle.

 

La mise en place de stratégies

Les femmes réagissent à ces offenses mais plus souvent de façon préventive ou défensive qu’offensive. Elles admettent faire habituellement preuve de discrétion et recourir à l’évitement (regard fuyant, écouteurs sur les oreilles, etc.). Les réponses plus directes, où elles font face à l’attitude dérangeante, sont réservées aux situations et aux heures où elles se sentent le plus à l’aise. Le soir ou dans les situations qu’elles estiment plus risquées, elles modifient leur comportement. Différentes tactiques et stratégies peuvent être mises en place, de l’adaptation in situ (plus grande vigilance, choix de la place) à l’évitement par gestion anticipée des situations jugées problématiques (prendre un taxi, rentrer plus tôt que souhaité, ajuster l’itinéraire, modifier son apparence, rentrer accompagnée).

 

Le rôle de la « socialisation »

Bien que les enquêtées aient toutes exprimé leur appréhension de certaines attitudes masculines, leur degré d’appréhension varie. Deux contextes de socialisation semblent agir sur leurs perceptions différenciées. D’une part, l’habitude d’un cadre résidentiel très urbain et l’usage précoce des transports collectifs coïncident avec une moindre appréhension. D’autre part, les jeunes femmes les plus inquiètes ont décrit un entourage familial qui les a fortement sensibilisées à leur vulnérabilité.

 

In fine, si l’appréhension dans les transports collectifs n’est pas le monopole des femmes, leur vécu ordinaire montre que la question de la place des uns et des autres, dans la société et dans l’espace physique, reste une clé importante de leur mobilité et, par conséquent, de leur potentiel de participation à la vie sociale.

 

 


Pour aller plus loin....

i. STIF, 2013, « Femmes et hommes : une mobilité qui reste différenciée » [Women and men: a mobility that remains differentiated], La mobilité en Île-de-France, n°3, janvier 2013, 4p.

ii. Levy, C., 2013. Travel choice reframed: “deep distribution” and gender in urban transport. Environment and Urbanization 25, 47–63. https://doi.org/10.1177/0956247813477810

iii. Cerdà Beneito Gonçal, 2017, Le vécu des femmes dans les transports en commun franciliens : l’influence de l’appréhension des attitudes masculines sur les pratiques de mobilité quotidienne [Women's experience in Parisian public transport: the influence of the perception of male attitudes on daily mobility practices], Mémoire de Master, sous la direction de Sandrine Wenglenski, École d’Urbanisme de Paris, Université Paris Est – Marne-La-Vallée, 91p.

iv. Goffman Erving, 1963, Behavior in Public Space, The Free Press.

 

Bissell David, 2010, “Passenger mobilities: Affective atmospheres and the sociability of public transport, Environment and Planning, D, Society and Space, 28(2):270-289.

Hanson Susan, 2010, “Gender and mobility: new approaches for informing sustainability”, Gender, Place & Culture, 17(1):5-23.

IAU, 2017, Victimation et sentiment d’insécurité en Île-de-France [Victimization and sense of insecurity in Île-de-France], Publication de l’IAU, mars 2017.

Wenglenski Sandrine, 2017, “Mobility Gaps”, The International Encyclopedia of Geography, 1–4.

Wenglenski Sandrine, 2017, “Daily Mobility”, The International Encyclopedia of Geography, 1–7.

Women’s issues in Transportation, 2014, “Bridging the gap”, Proceedings of the 5th International Conference on WIT, April 2014, 736p.