Les inégalités sociales et le genre face au risque routier
Par Mohamed Mouloud Haddak, Ingénieur de recherche en épidémiologie sociale - Département TS2, Laboratoire UMRESTTE
Tout usager de la route, qu’il soit motorisé ou non, peut être exposé à un risque routier. Pour prévenir et limiter les accidents de la route, les chercheurs de l’Umrestte étudient les populations les plus sensibles. L’interaction entre inégalités sociales et genre semble impacter fortement nos conditions de déplacements, aussi bien concernant l’accès à la mobilité que l’exposition au risque routier.
L’identification des populations à risque
Pour chaque accident de la route, la gendarmerie enregistre toutes les données liées à l’événement. Celles-ci alimentent la base de données « accidents corporels de la circulation » dite BAAC. Sur une même période, les chercheurs exploitent en parallèle de ces éléments, les données de l’enquête nationale mobilité (ENTD). Cette analyse leur permet de définir les caractéristiques communes des populations et ainsi de mesurer leur risque routier. A un niveau local, les chercheurs associent les données de l’enquête de mobilité (EMD de Lyon) et les données d’accidentalité du registre des victimes d’accident de la route dans le Rhône (ARVAC)iv-vii
Pour parfaire ce travail d’identification des populations à risque, d’autres études sont menées. Ainsi, la perception du risque routier chez tous les usagers de la route du département du Rhône est analyséei-ii. Dans une autre étude, les facteurs de risque d’accidents de la route chez les jeunes, de 14 à 17 ans, sont hiérarchisésIX Leurs attitudes et comportements sont également décryptés, en lien avec leurs pratiques de mobilité et leurs milieux socio-territoriauxVIII
L’accès à la mobilité
Les chercheurs de l’Ifsttar approfondissent leurs travaux de recherche grâce à de nombreuses enquêtes, sur nos habitudes de déplacements1 .
Il en ressort que les femmes choisissent moins certains modes de déplacements, tels que le deux-roues motorisé, mais également la bicyclette et, dans une moindre mesure, la voiture.
Si les analyses ne révèlent pas de différence significative dans l’accès à la conduite accompagnée2, les chercheurs en observent par contre dans l’accès au permis de conduire chez les 18-24 ans. Les résultats indiquent qu’un jeune homme, de cette classe d’âge, a 45 % de chances en plus d’avoir son permis qu’une jeune femme, toutes choses égales par ailleurs. Le fait que les parents soient motorisés, non motorisés ou multi-motorisés ainsi que le fait d’habiter dans une commune pauvre ou riche augmentent cette disparité d’accès au permis de conduireV. Toutefois, lorsque le permis est acquis, l’accès à la conduite semble dépendre davantage du milieu socio-économique, de la disponibilité d’une voiture au sein de la famille et de la zone d’habitation, que du genreV.
L’exposition au risque routier
Concernant le risque routier chez les jeunes de moins de 25 ans, une analyse comparative entre les populations des communes, avec et sans ZUS3 , montre un sur-risque significatif d’accidents corporels pour les jeunes des communes avec ZUS. Parmi ces jeunes, les filles sont plus légèrement concernées. Ce sur-risque est encore plus élevé chez les moins de 15 ansVI - VII.
Concernant l’exposition au risque, pour la population générale, les hommes ont globalement un sur-risque d’être tués de 2 à 3 fois plus élevé que les femmes. D’une part, ceci s’explique par un comportement plus dangereux des hommes. D’autre part, les femmes semblent moins exposées à des types de déplacements à risque (conduite de nuit, conduite sur des routes de campagne, usage du deux-roues motorisés, etc.) iii-iv
L’ensemble de ces résultats montre que, dans l’étude des inégalités sociales et/ou territoriales en lien avec le risque routier, l’effet du genre est un effet transversal rémanent à prendre en compte. Il est donc nécessaire de maintenir une attention particulière à ce déterminant.
1 Enquêtes Nationales Transports Déplacements (ENTD) et Enquêtes Ménages Déplacements (EMD)
2 Sur de faibles échantillons (EMD de Lyon 2015)
3 Zone Urbaine Sensible
Pour aller plus loin…
i. Haddak M.M., Estimating the Willingness-to-pay for Road Safety Improvement, Transportation Research Procedia, 2016, 14: 293-302.
ii. Haddak MM, Lefèvre M, Havet N, Willingness-to-pay for road safety improvement, Transport Res Part A: Policy and Practice, 2016;87:1-10.
iii. Bouaoun L, Haddak MM, Amoros E, Road crash fatality rates in France: A comparison of road user types, taking account of travel practices, Accid Anal Prev. 2015;75:217-225.
iv. Blaizot S, Papon F, Haddak MM, Amoros E, Injury incidence rates of cyclists compared to pedestrians, car occupants and powered two-wheeler riders, using a medical registry and mobility data, Rhône County, France, Accid Anal Prev. 2013;58:35-45.
v. Licaj I, Haddak M, Pochet P, Chiron M, Individual and contextual socioeconomic disadvantages and car driving between 16 and 24 years of age: a multilevel study in the Rhône Département (France), J. Transp Geo, 2012;22:19-27.
vi. Licaj I, Haddak M, Pochet P, Chiron M, Contextual deprivation, daily travel and road traffic injuries among the young in the Rhône Département (France), Accid Anal Prev. 2011; 43(5):1617-1623.
vii Licaj I, Haddak M, Hours M, Chiron M, Deprived neighborhoods and risk of road trauma (incidence and severity) among under 25 year-olds in the Rhône Département (France), J. Safety Research, 2011; 42(3):171-176.
viii. Randriantovomanana, Eliette (2015). Mobilité et accidentalité routière chez les adolescents. Thèse de sociologie, Ecole doctorale de Sciences Sociales, Université Lyon 2.
ix. Licaj, Idlir (2011). Inégalités sociales et territoriales de mobilité et d’accidents corporels chez les jeunes. Sous la direction de Mireille Chiron, Mouloud Haddak et Parcal Pochet. Thèse en épidémiologie. EDISS, Lyon 1.