Impacts de l’automatisation sur l’activité de conduite
Par Hélène Tattegrain, chercheuse en intelligence artificielle et directrice du Laboratoire LESCOT– Département TS2
L’argument principal concernant l’utilité du véhicule autonome en termes de sécurité routière est de diminuer le nombre d’accidents sur la route. En effet, en retirant l’humain de la boucle et, de ce fait, en supprimant les risques liés au facteur humain, les ingénieurs supposent que les systèmes seront plus performants que l’humain.
Cet argument doit être pris avec précaution car de nombreux problèmes n’ont pas encore été évalués.
En effet, l’automatisation totale (niveau SAE 5)1 n’est pas encore disponible pour les véhicules légers. Il faut donc prévoir des phases de transition entre les modes manuels (conduite du véhicule par le conducteur) et autonomes (conduite du véhicule par ses systèmes de contrôles automatiques). Suivant les différents niveaux d’automatisation (proposés par la SAE1), les attentes vis-à-vis du conducteur ne sont pas les mêmes et les problèmes, auxquels il risque d’être confronté, varient en conséquent.
Dans ce cadre, l’Ifsttar travaille sur la conception anthropocentrée2 de systèmes d’assistance, sur l’identification des scénarios critiques, sur le monitoring du conducteur pour adapter les interactions homme-machine et sur la conception virtuelle de système d’assistance.
Un conducteur assisté
Le premier niveau est actuellement en déploiement avec l’arrivée de différents systèmes de contrôle actifs sur seulement une partie des fonctions de conduite. Il permet au conducteur de bénéficier momentanément d’une assistance (accélération, freinage, etc.). Elle réduit alors la demande attentionnelle nécessaire pour gérer la tâche de conduite. Si cette réduction est bénéfique dans les situations très complexes, elle peut également engendrer des conditions dangereuses. Ainsi, des phénomènes d’inattention dus à une sous-charge d’activité (ex. baisse de vigilance, vagabondage de la pensée, etc.) ou de distraction du fait de la réalisation d’autres tâches (ex. téléphoner, manger, etc.), pourraient être observés. Ces phénomènes génèrent principalement des problèmes de prises d’information dans la scène routière.
Un rôle de conducteur-superviseur
Dans le cas du niveau 2, le système prend en charge des nouvelles fonctions mais le conducteur, qui maîtrise son environnement, doit pouvoir reprendre la main sur le véhicule à tout instant. Les phénomènes observés précédemment risquent alors d’être amplifiés par le fait que le conducteur n’a aucune tâche de conduite active lorsque les contrôles longitudinaux et latéraux sont gérés par le système. Mais, ce niveau imposerait au conducteur d’être tout de même attentif à son environnement pour pouvoir reprendre le contrôle du véhicule à tout moment. Cette obligation est très préoccupante, en termes de sécurité routière, car rien n’assure que le conducteur se trouve bien en mode supervision, d’un point de vue cognitif, et cela même si sa position physique est correcte.
Du stade superviseur au stade passager
Pour les niveaux 3 et 4, le conducteur est autorisé à exécuter d’autres tâches pendant les phases de délégation de la conduite. Il doit cependant toujours être en mesure de reprendre le contrôle à la demande du système. Si le conducteur ne reprend pas la main, il est prévu une mise à l’arrêt du véhicule (niveau 3) ou une mise en sécurité (ex. sur bande d’arrêt d’urgence pour le niveau 4). Pour ces deux cas, les phases de transitions sont particulièrement critiques.
En effet, lorsque le conducteur délègue la tâche de conduite au système autonome (transition manuelle vers autonome), le système doit être prêt à prendre le contrôle. Dans le cas où le système ne peut pas assurer une conduite autonome, il est important que le conducteur comprenne bien que le véhicule ne peut pas se mettre en conduite autonome. Même constat pour les phases de reprise en main du véhicule par le conducteur (transition autonome vers manuelle). Il faudra s’assurer que le conducteur soit en état physique et attentionnel pour reprendre le contrôle et qu’il soit bien conscient que le véhicule n’est plus en mode autonome.
Quel que soit le niveau d’automatisation, la prise en compte des problèmes de connaissance de l’état du système, par l’utilisateur, est classique dans les domaines de la coopération homme-machine. Elle est cependant vitale pour le véhicule automatisé dont les erreurs peuvent être fatales.
1. SAE International est une association mondiale de plus de 128 000 ingénieurs et experts techniques associés de l'industrie aérospatiale, automobile et des véhicules commerciaux. https://www.sae.org/misc/pdfs/automated_driving.pdf
2. Centrée sur l’humain