Penser le bruit à l’échelle de la ville

Dossiers thématiques avril 2014 Ville

Joël Lelong - Département AME, Laboratoire LAE

La Directive européenne 2002/49/CE sur l’évaluation et la gestion du bruit dans l’environnement insiste, d’une part, sur la nécessité d’informer les riverains sur les risques et les effets du bruit dans l’environnement et, d’autre part, sur l’adoption de plans d’action en matière de prévention et de réduction du bruit. Elle impose notamment aux grandes agglomérations de produire des cartes de bruit. À l’échelon national, cette obligation de prendre en compte le bruit – notamment d’origine routier – incombe aux agglomérations devant mettre en œuvre un Plan de Déplacement Urbain (PDU) dans le cadre de la Loi d’Orientation des Transports Intérieurs (LOTI).

 

Du calcul du bruit à l’approche intégrée sous systèmes d’information géographique (SIG)

Des méthodes standardisées sont proposées pour répondre à ces obligations légales, notamment par la production et la diffusion de cartes de bruit des grandes agglomérations. Ces cartes reposent sur des modèles simplifiés de propagation acoustique dans l’environnement urbain, et utilisent des modèles de sources sonores, notamment routières faisant intervenir les conditions moyennes de trafic.
Cependant, des études récentes montrent que le bruit n’est qu’une composante parmi d’autres pour évaluer la gêne ressentie : les ambiances lumineuses, olfactives, aérauliques contribuent également à la caractérisation d’un lieu. Aujourd’hui, le croisement de données de différentes natures, physiques (thermiques, acoustiques, lumineuses, etc.) ou d’ordre « sociétal » (démographie, économie de l’immobilier, etc.), est donc devenu une nécessité pour appréhender l’environnement urbain. Ainsi, des travaux récents, notamment au sein de l’IRSTV (Institut de Recherche en Sciences et Techniques de la Ville) en collaboration avec l’Ifsttar, visent à développer des approches intégrées multi-physiques au sein de SIG, afin de proposer des méthodes de calcul, de représentation et des moyens de diffusion de l’information auprès de différents acteurs (scientifiques, collectivités, habitants).

 

Niveau d’exposition au bruit (niveau sonore corrélé à la densité de population) par bâtiment, pour la Ville de Nantes pour l’année 2008.

Niveau d’exposition au bruit (niveau sonore corrélé à la densité de population) par bâtiment, pour la Ville de Nantes pour l’année 2008. Carte réalisée par l’Ifsttar au sein du logiciel SIG OrbisGIS, publié sur le service Webcarto de l’IRSTV (www.orbisgis.org).

 

D’une modélisation statique à une description dynamique du bruit en milieu urbain

S’agissant du bruit de circulation en ville, et bien que répondant à la réglementation en vigueur, les outils actuellement disponibles, basés sur une description statique du trafic, trouvent toutefois leurs limites lorsqu’il y a nécessité d’accéder à une information plus fine (quantification des émergences du bruit, prise en compte de la dynamique du bruit de trafic). Et de même, lorsqu’il s’agit de qualifier l’impact de certains types d’aménagements (modification de carrefours ou de typologie de voirie, mise en place de sites propres réservés à la circulation des transports en commun, etc.).
Ce constat nous a conduit à imaginer une approche spécifique basée sur une modélisation dynamique de l’écoulement du trafic. Développée au Laboratoire d’Ingénierie Circulation Transport (LICIT ENTPE/Ifsttar), elle permet d’évaluer les fluctuations du trafic, liées à des variations de débit, à des restrictions ou des élargissements de capacité (dépendant des caractéristiques de la voirie), ou à la présence de feux tricolores. Ce type de modèle permet également de simuler l’écoulement du trafic à l’intérieur des carrefours complexes, ou encore le comportement de véhicules propres au milieu urbain, tels les autobus, dont les caractéristiques cinématiques sont différentes de celles des véhicules légers.
Les travaux menés au LAE portent d’une part sur la caractérisation des émissions acoustiques des véhicules en situation d’usage réel (prise en compte des caractéristiques cinématiques transitoires, estimation du comportement de conduite), et d’autre part, sur la propagation acoustique en milieu complexe tel que le milieu urbain. Ils ont conduit au développement d’un modèle global permettant d’estimer les niveaux de bruit en façade de bâtiment à une échelle temporelle très fine, de l’ordre de la seconde.
Validé expérimentalement sur une section de voirie urbaine lyonnaise, cet outil est actuellement en phase de développement à l’échelle d’un quartier. Il intègre de nouvelles fonctionnalités comme l’insertion de lignes de tramway, avec la prise en compte de la micro-régulation de trafic associée et les émissions acoustiques de ce moyen de transport.
Ce travail, mené en collaboration étroite avec d’autres équipes du RST-Réseau Scientifique et Technique (dont le CSTB), offrira à terme aux collectivités un outil robuste d’évaluation environnementale (notamment acoustique) des stratégies de régulation du trafic ou des plans de circulation dans l’agglomération.

 

Cartographie dynamique du bruit sur le Cours Lafayette à Lyon.