Dominique Bourg «Articuler conscience et science»

Portraits de scientifiques février 2015 ÉcologieRSNB

Philosophe et intervenant RSNB

Un incident peut être à l’origine d’un intérêt précoce pour la protection de la nature. Dominique Bourg se souvient avoir vu « le ruisseau de son enfance », près de Dôle, « changer de couleur et devenir orange », à cause d’une pollution industrielle. Étudiant, il découvrira également la revue Survivre et vivre « à laquelle participa le grand mathématicien visionnaire Alexandre Grothendieck, médaille Fields 1966 ». Sa lecture lui fait prendre conscience qu’une « utilisation indiscriminée de la science et de la technologie, couplée à des mécanismes sociaux suicidaires » a une logique d’« effet ciseaux » pour la planète et l’homme. Elle encourage ainsi un déséquilibre écologique croissant. « Pourquoi rien n’est fait ? » se demande alors Dominique Bourg. Cette interrogation guidera ses travaux et son engagement personnel.

 

 

La nature s’invite dans nos réflexions

Habitant aujourd’hui dans le Haut-Jura, et enseignant à l’Université de Lausanne, il a tout d’abord choisi d’appréhender l’écologie d’un point de vue philosophique et éthique. Pour cela, il entend articuler conscience et science. Fort d’un parcours académique (Université, EHESS, HDR), le professeur en philosophie développe le concept « d’Humanité environnementale », qui fait l’objet d’un nouveau cycle de Master 2 en Suisse. « Nous traitons de la relation de la société au milieu naturel, peu prise en compte par les Sciences Humaines et Sociales (SHS) jusqu’à présent » souligne Dominique Bourg. « Il nous semble pourtant impossible de comprendre la société en faisant abstraction de l’environnement. » Avec le réchauffement climatique, la nature s’invite dans nos réflexions « par effraction ». Si les sciences environnementales, dites dures, ne tiennent pas toujours compte du côté humain, l’inverse peut être vrai.

Le lien est fait avec l’importance d’une recherche pluraliste et multidisciplinaire. Dominique Bourg boucle actuellement, dans cet esprit, un Dictionnaire de la pensée écologique. Cet ouvrage pointu de 2000 pages proposera 350 entrées, associant 300 contributeurs « de la société civile à la géochimie ». Au delà de nos enjeux particuliers, le « cheval de bataille » de notre philosophe est la gouvernance écologique. Remarquons une co-direction, avec Alain Papaux, de la collection « Développement durable et innovation institutionnelle » aux Presses Universitaires de France (PUF). Il intègrera d’ailleurs la Commission Coppens préparant la Charte de l’environnement qui « viendra s’appuyer » sur la Constitution française en 2005.

 

 

Lutter contre le refus de penser

Dix ans déjà, et Dominique Bourg dresse un constat d’échec. Le Sommet de Copenhague sur le climat en 2009 aboutira à un accord minimal (non reconnu par tous les participants). De la Conférence Climat à Paris en 2015 (COP21), il attend qu’elle soit « forcément innovante » et débloque la situation « en imposant une taxe à la finance internationale » estimée à 100 milliards (Fond Vert). « Garder l’espoir devient un acte de bravoure » avait déclaré Nicolas Hulot après Copenhague. Dès 1996, notre philosophe s’était engagé dans sa Fondation pour la Nature et l’Homme, dont il est vice-président. « Depuis la décennie 1970, au début de mes études, nous avons perdu 50 % des populations existantes dans 2 000 espèces animales (mammifères, oiseaux et poissons), comme le démontrent des travaux récents » déplore Dominique Bourg. « Notre modèle actuel de civilisation industrielle n’est pas adapté à cette urgence écologique. Hérité du 19ème siècle et des 30 glorieuses, nous cherchons encore à épuiser les ressources naturelles aux quatre coins de la planète ».
Selon lui, les scientifiques font face à un refus inconscient des hommes de changer leur vision du monde. Aller vers le public s’avère indispensable. «J’estime que la recherche, en Sciences Humaines notamment, doit faire une restitution à la société, puisque le citoyen est le commanditaire et le destinataire des travaux» remarque Dominique Bourg. « Il y a urgence à transmettre nos indicateurs et nos chiffres pour lutter contre l’aveuglement». Le mardi 13 janvier 2015, il s’est ainsi exprimé dans le cadre des Rencontres des Savoirs, portées la Ville de Bron, l’Ifsttar et l’Entpe. Cette Université populaire participe à une mission collective d’intérêt public en proposant des conférences interactives entre les scientifiques et les habitants.